ART CONTEMPORAIN | L'homme a très tôt éprouvé le besoin de témoigner de son passage sur terre en gravant la roche. Il y a 20 000 ans. C'est à partir du néolithique qu'il commence à déplacer celle-ci, mais aussi de grands volumes de terre, pour créer des sites ou des ouvrages parfois très élaborés, à Stonehenge, Er Grah, Silbury Hill, Carnac... Ces pratiques ancestrales, dont on retrouve notamment la trace au début de notre ère à Nazca, sont réactivées au XXème siècle par les précurseurs et les pionniers du Land Art, notamment Isamu Noguchi, Group «I», Richard Long, Walter De Maria, Robert Smithson, et bien sûr Michael Heizer. Elles continuent aujourd'hui d'inspirer plus largement une nouvelle génération d'artistes (Nikolaj Recke, Jorge Satorre...), dans laquelle s'inscrit aussi Régis Perray.
Michael Heizer, Régis Perray : deux artistes, deux époques, deux attitudes, deux formes, deux visions du monde, deux conceptions de l'art, deux pratiques du sol, deux appréhensions de l'espace, de la matière, de la mémoire collective. L'un déplace des tonnes de roches depuis la fin des années 60, avec ses bulldozers, ses pelleteuses et ses grues ; l'autre manipule plutôt des grammes, depuis le milieu des années 90, avec son balai, ses éponges, ses grattoirs et ses engins de chantier miniatures. Deux poids. Deux mesures. L’Observatoire du Land Art les a fait se « rencontrer » en proposant à Régis Perray de réaliser une action symbolique en écho au déplacement pharaonique du rocher de Michael Heizer, avant son installation définitive au dessus de la gigantesque tranchée construite sur le campus du Los Angeles County Museum of Art.
Entre le 28 février et le 10 mars 2012, Perray a déplacé chaque jour, sur la côte ouest française, 340 grammes de poussière avec un petit dumper, tandis que chaque nuit, sur la côte ouest américaine, un transporteur monumental acheminait le rocher de 340 tonnes d'Heizer vers le LACMA. Grâce au décalage horaire entre Nantes et Los Angeles, les deux déplacements eurent lieu simultanément. Vivre à distance le très lent cheminement du convoi de 295 pieds de long, se projeter en lui, comme par procuration. Si la « rencontre » de l'artiste-pionnier des grands espaces américains et du jeune artiste de la vieille Europe a pu a priori étonner, la nature de leurs interventions et leurs modes opératoires ne les opposent qu'en apparence. Cette confrontation révèle en fait des affinités quant à leur appréhension du monde.
Tous deux, par leur plein engagement dans des œuvres où fusionnent l'art et la vie, leur attachement viscéral à la terre, au sol, à la question du vide, leur fascination pour le désert, leur regard contemporain porté vers les civilisations anciennes, nous conduisent à des réflexions qui dépassent la matière qu'ils déplacent. Car au-delà des prouesses technologiques, du spectacle ou des belles photographies, bien au-delà des polémiques d'ordre économique ou écologique, ils convoquent deux universaux : nous sommes tous affectés par la gravité / nous retournerons tous à la poussière.
Michael Heizer associe un rocher âgé de plusieurs millions d'années à une structure en béton créée il y a seulement quelques mois, prévue pour durer plus de 3500 ans. Régis Perray utilise quelques grammes de poussière issus de la voûte de la cathédrale de Chartres, « un lieu plus jeune que ce rocher mais plus vieux que l'histoire des États-Unis ». De la matière, nous glissons vers le temps, vers une pensée du temps. Ta meta ta phusika... Heizer / Perray, vers une métaphysique de l'art ?
Marc de Verneuil et Mel Rushmore
24/06/2012
_______________________________________________________ Article original commandé par l'Observatoire de l'Art Contemporain.
Revue de décryptage / rubrique Tendance à suivre... (24/06/12)
Remerciements :
Merci à toutes les personnes qui nous ont apporté leur soutien, leur relai et/ou leur expertise, tout au long de cette action transatlantique engagée l'été dernier, notamment : Rick Albrecht (Emmert International), Carson Blaker, Miranda Carroll et John Bowsher (LACMA), Linda Gordon, Barry Lehrman, Hikmet Loe, Christian Mayeur, Michel Minor, Serge Paul, Johannes Peeters, Carrières Plo, Martine Pochard, William Poundstone, Doug Pray, Nina Rodrigues-Ely, Wendy Rudder, Jean-François Santoro, Grace Smith, Gilles Tiberghien, Denis Thomas, Deborah Vankin (LA Times), Laurent, Nicole, Patrick et Yvan de Verneuil, Patrick Villedieu, Catherine Wagley (LA Weekly), Woman in the Middle, Janet Zimmerman.
Remerciements à Hubert, pour son soutien sans faille.
Un grand merci à Michael Govan (LACMA) pour son engagement de toujours dans la diffusion du Land Art, à Zev Yaroslavsky (superviseur du Comté de Los Angeles) et Scott Tennent (LACMA) pour leurs nombreux articles qui nous ont tant servis, à Danny Johnston pour avoir déniché le rocher en 2006, à Stephen Vander Hart (Carrière de Stone Valley), Shannon & Wilson, Buro Happold, MATT Construction et toutes les autres personnes impliquées dans ce projet que nous pourrions avoir oubliées.
Merci également aux généreux donateurs et sans lesquels Levitated Mass n'aurait sans doute jamais vu le jour : Jane and Terry Semel, Bobby Kotick, Carole Bayer Sager and Bob Daly, Beth and Joshua Friedman, Steve Tisch Family Foundation, Elaine Wynn, Linda, Bobby, and Brian Daly, Richard Merkin, MD, and the Mohn Family Foundation.
Et, bien évidemment, un gigantesque merci à Michael Heizer et à Régis Perray ; à l'un pour ce cadeau qu'il offre à la postérité, à l'autre pour avoir immédiatement accepté de nous suivre dans cette aventure.
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