Volvo BM A25C, Beauce (France). 24/08/2011. © OBSART |
—On a souvent besoin d'un plus petit que soi.
Jean de la Fontaine (Fables, Livre II, 1668)
L'été dernier, alors que nous finalisions le communiqué de presse de notre action transatlantique en écho au déplacement du rocher de 340 tonnes de Michael Heizer, nous avons fait une expérience des plus insolites. Nous roulions tranquillement sur une route presque déserte, de retour d’une visite du Centre d’Art Beauceron (le CAB), lorsque nous sommes tombés en arrêt devant un gros engin de chantier qui nous a singulièrement rappelé le petit dumper que certains d’entre vous connaissent bien. Étrangement, ce tombereau articulé à benne basculante était la « copie » presque parfaite (échelle 1/1) du jouet Volvo BM (échelle 1/50) que Régis Perray a déplacé durant 10 jours, sur la côté ouest française, tandis que le rocher de Michael Heizer déplaçait durant 10 nuits, sur la côte ouest américaine, en Californie, entre la carrière de Jurupa Valley (comté de Riverside) et le Los Angeles County Museum of Art (LACMA).
Mini-City. 24/08/2011. © OBSART |
Mais quelle ne fut pas notre surprise de découvrir que ce dumper Volvo BM A25C était garé à quelques dizaines de mètres d’un grand tumulus, d’environ 5 ou 6 mètres de haut, dont la géométrie presque parfaite évoquait quelque chose qui ne nous était également pas inconnu. Une surprise de taille… Subitement, nous n’étions en effet plus devant un simple tas de terre érigé en pays beauceron mais devant une sorte de temple moderne ressemblant à un modèle réduit de City — cette ville fantôme d’inspiration américano-précolombienne que Michael Heizer et sa petite équipe sont en train de bâtir dans le désert du Nevada, lentement mais sûrement, depuis 1972. Nous ne pouvions que relever le rapport dialectique entre ces deux mastodontes, tant la question de la taille tient une place importante chez l’artiste américain, question que l'on retrouve dans la plupart des œuvres qu'il réalise depuis la fin des années 60.
Guidés par l’enthousiasme, nous avons repris la voiture, que nous avions laissée sur le bord de la route, en lisière de forêt, et sommes entrés sur le site avec l’espoir de pouvoir le visiter. Une fois passé un premier portail ouvert, une impressionnante entaille pratiquée sur toute la hauteur du tumulus, sur une quinzaine de mètres de long, semblait mener directement au cœur du complexe. Au travers de cette béance, on pouvait apercevoir au loin un chantier colossal et d’autres gros engins de terrassement. Enthousiastes certes, mais prudents, nous avons préféré la contre-allée goudronnée au chemin de terre défoncé, ce qui permettait de surcroît de longer le tumulus de très près et, ainsi, d’en observer la structure. Nous nous sommes alors naturellement dirigés vers un bâtiment situé en bordure de parcelle — une espèce de gros pavillon de type maison Phénix dont on aurait triplé les proportions — où il semblait possible de rencontrer les hôtes de ces bois.
Nous avions vu juste. À peine étions-nous descendus de voiture qu’un homme s’est dirigé vers nous… mais à vive allure, confirmant ce que nous commencions à ressentir depuis déjà quelques minutes, à savoir que nous n’avions peut-être pas affaire à l’œuvre d’un artiste. C’était le gardien du temple, et manifestement, il n’était pas plus enclin que l'artiste californien à laisser quiconque pénétrer au cœur de son site. Nous avons dû repartir, laissant Neokoros derrière nous — tout juste eu le temps de faire une courte vidéo, avec en mémoire ce long travelling latéral de City réalisé par Brigitte Cornand dans Land Art : retour au paysage (1994).
Il ne nous restait donc plus qu’à mener nos propres recherches. Nous avons fini par découvrir qu’il s’agissait, non pas d’une nouvelle expression du Land Art à la française, mais tout simplement d’une décharge de déchets industriels banals (DIB) provenant de toute la région, voire de bien au-delà. Ce lieu de stockage de longue durée, créé à ciel ouvert au-dessus de la nappe phréatique de Beauce, a commencé sa funeste vie fin 2009 et s’étend aujourd’hui sur un terrain de 300 mètres par 400. Les gestionnaires du site envisagent son extension avec une seconde phase de travaux, au grand dam de certains riverains qui craignent à long terme une pollution de cette nappe qui alimente en eau potable plusieurs villages alentour. Les buttes de déchets et de terre, inclinées à 40° et recouvertes de grands tapis d’herbe, devraient culminer à 25 mètres en fin d’exploitation.
On retrouve là, peu ou prou, la forme et les dimensions des buttes de béton et de terre compactée de Complex Two (1980-99), la deuxième des cinq phases de travaux prévues à City. On repense alors au train de déchets nucléaires contre lequel Heizer s’est tant battu à partir de 2004 depuis son Fort Alamo(s) — à ce fameux « Tchernobyl Tchou-Tchou » comme on l’a baptisé là-bas, outre-Atlantique, qui devait passer non loin de sa résidence d’artiste en traversant Garden Valley. On pense aussi à ces chercheurs d’eaux souterraines, ces nouveaux chasseurs d'Or bleu qui préoccupent beaucoup l’artiste californien. Et l'on réalise que, malgré les différences qui existent entre ces deux formes sculptées in-situ, les problèmes demeurent aujourd’hui quasiment les mêmes, d’une ville à l’autre, d’une région à l’autre, d’un pays à l’autre, d’un continent à l’autre. Éc(h)o-transatlantisme ?
OBSART
23 juillet | 5 février (première publication)
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340 t - 340g (action transatlantique)
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39,4 t - 788 g (2 dumpers)
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le CAB | Centre d'Art Beauceron
Guidés par l’enthousiasme, nous avons repris la voiture, que nous avions laissée sur le bord de la route, en lisière de forêt, et sommes entrés sur le site avec l’espoir de pouvoir le visiter. Une fois passé un premier portail ouvert, une impressionnante entaille pratiquée sur toute la hauteur du tumulus, sur une quinzaine de mètres de long, semblait mener directement au cœur du complexe. Au travers de cette béance, on pouvait apercevoir au loin un chantier colossal et d’autres gros engins de terrassement. Enthousiastes certes, mais prudents, nous avons préféré la contre-allée goudronnée au chemin de terre défoncé, ce qui permettait de surcroît de longer le tumulus de très près et, ainsi, d’en observer la structure. Nous nous sommes alors naturellement dirigés vers un bâtiment situé en bordure de parcelle — une espèce de gros pavillon de type maison Phénix dont on aurait triplé les proportions — où il semblait possible de rencontrer les hôtes de ces bois.
Nous avions vu juste. À peine étions-nous descendus de voiture qu’un homme s’est dirigé vers nous… mais à vive allure, confirmant ce que nous commencions à ressentir depuis déjà quelques minutes, à savoir que nous n’avions peut-être pas affaire à l’œuvre d’un artiste. C’était le gardien du temple, et manifestement, il n’était pas plus enclin que l'artiste californien à laisser quiconque pénétrer au cœur de son site. Nous avons dû repartir, laissant Neokoros derrière nous — tout juste eu le temps de faire une courte vidéo, avec en mémoire ce long travelling latéral de City réalisé par Brigitte Cornand dans Land Art : retour au paysage (1994).
Le Tumulus. 24/08/2011. © OBSART |
On retrouve là, peu ou prou, la forme et les dimensions des buttes de béton et de terre compactée de Complex Two (1980-99), la deuxième des cinq phases de travaux prévues à City. On repense alors au train de déchets nucléaires contre lequel Heizer s’est tant battu à partir de 2004 depuis son Fort Alamo(s) — à ce fameux « Tchernobyl Tchou-Tchou » comme on l’a baptisé là-bas, outre-Atlantique, qui devait passer non loin de sa résidence d’artiste en traversant Garden Valley. On pense aussi à ces chercheurs d’eaux souterraines, ces nouveaux chasseurs d'Or bleu qui préoccupent beaucoup l’artiste californien. Et l'on réalise que, malgré les différences qui existent entre ces deux formes sculptées in-situ, les problèmes demeurent aujourd’hui quasiment les mêmes, d’une ville à l’autre, d’une région à l’autre, d’un pays à l’autre, d’un continent à l’autre. Éc(h)o-transatlantisme ?
OBSART
23 juillet | 5 février (première publication)
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340 t - 340g (action transatlantique)
Le temps à l’œuvre
39,4 t - 788 g (2 dumpers)
Art+Archeology (2003-1880)
le CAB | Centre d'Art Beauceron
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The Dumper, the Tumulus
and the City (USA made in Beauce)
—One often needs someone smaller than oneself.
Jean de la Fontaine (Fables, book II, 1668)
Last summer while we were completing the press release of our transatlantic action echoing the transportation of Michael Heizer’s 340-ton rock, we experienced a strange thing. We were driving unhurriedly along a deserted road, coming from a visit to the Contextual Art Base (le CAB), when we stopped short in front of a big construction machine which oddly reminded us the small dumper that some of you have come to know quite well. Curiously, this articulated dump truck was the almost perfect 1:1-scale “copy” of the 1:50-scale Volvo BM toy dumper that Régis Perray moved, for 10 days, on the French West Coast, while Michael Heizer’s boulder was moved during 10 nights, on the American West Coast, between a Jurupa Valley quarry in Riverside County and the Los Angeles County Museum of Art (LACMA).
But what a matter of greatful surprise to find that this Volvo BM A25C dumper was parked only yards away from a big tumulus, about 5 or 6-foot high, of which almost perfect geometry was evoking something not unknown to us as well. A sizable surprise… Suddenly, we were indeed no longer in front of a common heap of dirt raised in Beauce country, but in front of a kind of modern temple, like a scale-down model of City—this American/Pre-columbian inspired ghost town that Michael Heizer and his crew are building in the Nevada Desert, slowly but surely, since 1972. We couldn’t avoid noticing the dialectical relationship between the two mastodons, given the question of size, so important in the eyes of Michael Heizer and that one can see in most works made by the American artist since the late 60s.
Mini-City. 24/08/2011. © OBSART |
We guessed right. No sooner had we got out of car that a man walked towards us... but at a brisk pace, confirming what we already had begun to feel for a couple of minutes, namely, that we were maybe not dealing with an artist’s work. He was the guardian of the temple, and obviously he was no more inclined than the Californian artist to let anyone enter the heart of his site. We have had to go, leaving Neokoros behind — just enough time to make a short video, by recalling us to the long lateral tracking shot of City directed by Brigitte Cornand, in her 1994 film Land Art: retour au paysage [back to Landscape].
The Tumulus. 24/08/2011. © OBSART |
Here we find, more or less, the shape and dimensions of the concrete and compacted-earth mounds of Complex Two (1980-1999), the second of the five works phases planned for City. Then one looks back at the nuclear wastes railroad against which Heizer fought so hard from his (Los) Alamo(s) compound—this famous “Chernobyl Choo-Choo” as they called it over there, across the Atlantic, planned to pass not far away from his artist residency entrenched in Garden Valley. One thinks about these underground water hunters, these new Blue Gold-diggers that also worry him so much. And one realizes that despite the difference between these two forms sculptured in-situ, problems remain almost the same, today, from one city to another, from one region to another, from one country to another, from one continent to another. Ec(h)o-Transatlanticism?
OBSART
July 23 | February 5 (first release)
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